L’évènement a fait la machette des journaux et de la télévision au début du mois de juin 2000. Une centaine de personnes nues le long de l’East River à New York attire nécessairement l’attention de la presse. Derrière le sensationnalisme médiatisé se cachait le projet artistique d’un photographe un peu excentrique et un débat juridique autour de la liberté d’expression.
Spencer Tunick est un photographe connu internationalement pour ses séances de photographies mettant en scène des personnes nues dans des endroits publics. Il se décrit d’ailleurs comme «un artiste contemporain qui travaille avec le corps». Le photographe a expliqué à l’Associated Press, un peu après la séance du 4 juin 2000, que les photos prises ce dimanche-là dépeignaient «un organisme vivant composé d’une centaine de corps qui forment un paysage, la relation entre l’anonymat des espaces publics et le corps humain».
La séance photographique devait se tenir à l’origine l’été précédent. M. Tunick avait alors demandé à la Ville de New York deux permis: un premier pour la prise de photographies en public avec des modèles tout habillés et un autre pour photographier des figurants nus. La ville lui accorda le premier permis, mais pas le second arguant qu’une telle manifestation violerait une loi de l’État qui interdit la nudité publique1. Les avocats de l’artiste se sont alors adressés à la cour pour demander une injonction interlocutoire interdisant aux policiers d’intervenir lorsque leur client irait de l’avant avec son projet artistique.
Une première cour accorda la demande d’injonction interlocutoire parce qu’elle considérait que la photographie de nus était une expression artistique protégée par le Premier Amendement à la Constitution américaine. Les procureurs de la Ville de New York firent aussitôt appel et une ordonnance fut émise afin de surseoir à l’injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond de l’affaire. La Cour d’appel des États-Unis pour le deuxième circuit, une cour fédérale, déféra la question de la constitutionnalité de la loi new-yorkaise qui interdisait la nudité publique à la Cour d’appel de l’État de New York, plutôt que de se prononcer au fond2. La Cour suprême des États-Unis a ensuite été saisie du dossier. Elle a refusé de suspendre l’exécution de l’injonction accordée à Spencer Tunick au début des procédures judiciaires en attendant qu’elle se prononce sur la demande d’appel3.
On le voit, l’affaire est complexe et implique plusieurs juridictions et niveaux de cours. Il semble toutefois que Spencer Tunick ne craigne pas la justice. Il a déjà été arrêté cinq fois pour des séances de photos avec des personnes nues, mais aucune accusation n’a été retenue contre lui jusqu’à ce jour. Et lors de la séance du 4 juin 2000, la police n’a procédé à aucune arrestation, ni des sujets photographiés ni du photographe.
* Ce texte est reproduit avec la permission de l’auteur: Louis-Philippe Gratton, «Art, nudité et droit», Qui fait quoi, juillet/août 2000.
1 New York Penal Law § 245.01: Exposure of a person.
2 Tunick c. Safir, (2000) 209 F. 3d 67 (2nd Cir.). La Cour d’appel de l’État de New York a refusé de se prononcer sur les trois questions qui lui ont été soumises: Tunick c. Safir, (2000) 731 NE 2d 597 (NY). La Cour d’appel des États-Unis pour le deuxième circuit a donc rendu une seconde décision, renvoyant l’affaire cette fois à la cour de district de première instance: Tunick c. Safir, (2000) 228 F. 3d 135 (2nd Cir.).
3 Tunick c. Safir, (2000) 530 US 1211 (demande de sursis refusée).